Quand le vin fait l’habit

Design, stratégie, perception sensorielle… L’étiquette d’une bouteille est devenue bien plus qu’un simple habillage. Vecteur de sens, elle raconte, influence et fait vendre.

Sommaire :

  • Un signe distinctif… vieux comme le vin
  • Déclencheur d’achat et support d’identité
  • Identifier sa cible, parler juste
  • Entre quête de sens et naturel
  • Innovation stratégique

Un signe distinctif… vieux comme le vin

Avant même que les premières étiquettes en papier ne fassent leur apparition au XVIIIᵉ siècle, les marchands de vin valorisaient déjà le contenu de leur jarre. Au Musée du Louvre, un fragment remontant à l’époque de Ramsès II (-1279 à -1213), retrouvé en Égypte, indique l’origine du vin qu’il renfermait. Aujourd’hui, l’étiquette ne se contente pas d’informer : elle attire l’œil et oriente la main au moment de choisir. Selon un sondage Opinion Way pour les Vignerons Indépendants (2023), sept Français sur dix la considèrent comme un critère important lors de l’achat. Une étude récente de la Washington State University révèle en outre que le design agit sur nos perceptions et nos intentions d’achat.

Déclencheur d’achat et support d’identité

Les consommatrices américaines interrogées privilégiaient ainsi les étiquettes aux codes visuels dits féminins : fleurs, visages,… « Elles s’attendaient aussi à une meilleure expérience sensorielle globale et étaient plus susceptibles d’acheter le vin », note Ruiying Cai, autrice principale de l’étude. Et cela vaut pour les plus averties : « L’influence de ces signaux de genre était si forte qu’elle surpassait même la connaissance du produit », ajoute Christina Chi, co-autrice de l’étude. Lors d’un test à l’aveugle, un même vin a été perçu comme fruité et doux avec une étiquette féminine, plus minéral avec une version masculine. « L’étiquette est un véritable support d’identité. Tout comme on la colle sur la bouteille, on l’appose symboliquement sur ce que représente le vin et qui est bien plus qu’un produit » confirme Sophie Javel, co-fondatrice d’Exceptio, studio de design spécialisé dans le vin et les spiritueux, à Gradignan.

Identifier sa cible, parler juste

Premier contact visuel avec le consommateur, l’étiquette est un marqueur destiné à refléter la singularité du produit. « L’habillage implique une cohérence entre ce que l’on voit et ce que l’on boit et s’inscrit plus largement dans une stratégie de communication globale. Il s’agit de raconter sans forcément inventer, le storytelling ne signifiant pas que l’on fabrique des histoires, mais que l’on donne du sens à ce que l’on fait. » La bonne étiquette doit par conséquent parler au bon public, de la bonne manière. « Il faut définir sa cible et la respecter. L’habillage ne sera pas le même pour un vin patrimonial chargé d’histoire, que pour une cuvée jeune, plus accessible, orientée vers une consommation quotidienne » insiste Sophie Javel. Le ton, les couleurs, les formes, la typographie doivent être adaptés y compris au lieu de vente : caviste, grande distribution

Entre quête de sens et naturel

Un grand cru peut-il jouer la carte de la fantaisie ? Un vin nature peut-il s’habiller de classicisme ? La réponse est oui, mais avec subtilité. « Au-delà des effets de mode, la liberté graphique s’exprime au sein de repères clairs pour les consommateurs, lesquels se sont surtout lassés du manque de sens. Quand une étiquette est vraiment réussie, elle transmet quelque chose de juste. Elle raconte ce qu’il y a dans la bouteille, comment cela a été fait, avec quelle intention, peu importe qu’elle soit colorée ou minimaliste. » Autre tendance : une conscience écologique accrue. Mais attention aux raccourcis. Être responsable ne signifie pas forcément choisir un papier recyclé au bilan carbone discutable. « Est-ce que votre philosophie première c’est d’être vertueux ou… de faire un bon produit en tenant compte d’un certain nombre de paramètres ?» interroge Sophie Javel, en évoquant différentes options : papier plus fin, encre à base d’eau, absence de dorure, étiquette facilement décollable et forme de la bouteille permettant le recyclage. Une sobriété parfois invisible, mais cohérente. Même le langage visuel évolue : moins de représentations de châteaux, notamment dans le Bordelais, et davantage de paysages « pour replacer la vigne dans un écosystème et montrer son ancrage dans un environnement vivant. »

Innovation stratégique

La technologie n’est pas absente de l’habillage : QR code obligatoire pour les nouvelles informations règlementaires souvent doublé d’un QR code plus narratif menant à un site internet, réalité augmentée… Mais ces usages restent marginaux. « Le lien entre l’étiquette physique et le numérique va sans doute se renforcer. Toutefois, la modernité ne se loge plus dans une innovation technique mais dans l’association intelligente d’éléments qui vont rendre cet ensemble parlant » conclut Sophie Javel. L’innovation devient une affaire d’assemblage, à l’image du vin lui-même. Et l’étiquette cristallise aujourd’hui des enjeux bien plus larges que la simple présentation d’un produit. Loin de tourner le dos aux traditions, elle les actualise à la lumière des nouvelles attentes : plus de sens, plus de sincérité, plus de responsabilité. Certaines maisons en ont fait un art en soi. Chaque année depuis 1945, le Château Mouton Rothschild confie l’étiquette de son nouveau millésime à un artiste différent. Pour le 2022, c’est Gérard Garouste qui s’est prêté à l’exercice. Objet de collection et levier marketing, un simple rectangle de papier vaut parfois mille discours.

Florence Jaroniak. © Taka/AdobeStock

Plus d’infos :

https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010073861https://news.wsu.edu/press-release/2024/10/01/women-more-likely-to-choose-wine-with-feminine-labels/

Une expérience œnologique de haut vol

Outil stratégique des compagnies aériennes, la carte des vins servis en classe premium ne cesse de gagner en prestige. Ce marché en pleine expansion mobilise des investissements conséquents, propulsant certains domaines viticoles vers de nouveaux horizons.

Sommaire :

  • Un atout de séduction en altitude
  • Une montée en gamme continue
  • Un marché en plein essor
  • Des stratégies viticoles ambitieuses
  • Formation et expertise

Un atout de séduction en altitude

Sièges inclinés, lumières tamisées : en première classe, l’hôtesse s’approche pour offrir une boisson. Champagne, naturellement. Depuis décembre 2024, Singapore Airlines sert le Cristal 2015, fruit d’un accord avec la maison Louis Roederer quand Emirates, fidèle à son partenariat de 33 ans avec Moët Hennessy, détient des droits exclusifs sur huit millésimes d’exception. Fini le temps où l’offre en vol se limitait au duo sandwich-soda : dès 1927, Air Union – future composante d’Air France – innovait sur la ligne Paris-Londres en instaurant un service gastronomique digne de l’Orient-Express. Depuis, le vin est devenu une signature du voyage haut de gamme. Ainsi, Air France a progressivement affiné sa sélection, faisant déjà appel, dans les années 1960, à l’expertise d’œnologues indépendants. Elle a ensuite confié sa carte des vins et champagnes à Paolo Basso, Meilleur Sommelier du Monde, avant de passer le relais à Xavier Thuizat, Meilleur Sommelier de France 2022, MOF 2023 et grand prix de la sommellerie 2024 du guide Michelin.

Une montée en gamme continue

Aujourd’hui, la compagnie sert plus de 9 millions de bouteilles par an. Sa carte est renouvelée trois fois par an, avec une offre premium toujours plus ambitieuse. Car le confort des cabines ne suffit plus : le vin pèse désormais lourd dans la balance pour conquérir les passagers des classes avant, les plus rentables pour les transporteurs. Cette course vers l’excellence se traduit d’ailleurs par des concours (Cellars in the Sky Awards et Wines on the Wing) qui consacrent chaque année les meilleures sélections des compagnies. « Atout majeur dans l’expérience d’un passager, la carte des vins est censée lui offrir un moment agréable et faire voyager ses papilles en lui permettant de découvrir de nouvelles appellations et de nouveaux talents. Elle doit refléter l’actualité des vignobles et les tendances, comme la propension à boire moins, mais mieux, ou à privilégier les vins rouges plus digestes, élégants et rafraîchissants », explique Xavier Thuizat, qui choisit avant tout les cuvées pour leur capacité à procurer une émotion. « A la dégustation, je dois ressentir le lieu et l’authenticité d’un terroir. »

Un marché en plein essor

Alors que la consommation de vin recule au sol, elle explose en vol. Lufthansa, par exemple, lance chaque année 30 à 35 appels d’offres donnant lieu à une dizaine de dégustations d’experts internes et externes. Le marché, en pleine effervescence, suit la croissance globale du secteur : selon l’IATA, l’Association internationale du transport aérien, les compagnies attendent 5,2 milliards de passagers en 2025 (+6,7 % par rapport à 2024), générant des bénéfices records de 36,6 milliards de dollars (+16,1 % en un an). Pour les domaines viticoles, se retrouver à bord des avions est une opportunité en or. Ils vendent une partie de leur production, tout en se faisant connaître auprès d’une clientèle internationale qui pourra les retrouver une fois au sol. Certains ont même su transformer ce marché en tremplin pour l’export. Encore faut-il réussir à embarquer : une commande peut atteindre 60 000 bouteilles d’un coup, un volume que peu de producteurs ont la capacité ou l’envie de fournir, d’autant que certaines compagnies tirent les prix vers le bas.

Des stratégies viticoles ambitieuses

A contrario, nombre d’entre elles n’hésitent pas à investir massivement. Depuis 2006, Emirates a injecté plus d’un milliard de dollars dans son programme viticole. Elle possède sa propre cave en Bourgogne, où vieillissent 7,4 millions de bouteilles, dont certaines ne seront servies qu’à partir de 2037. Chacune des quatre cabines de la compagnie dispose en outre de sa propre sélection, adaptée pour la Premium aux préférences gustatives des passagers selon six zones géographiques. Pour perfectionner son service, Emirates a même lancé en juin 2024 un programme de formation intitulé « L’art du vin ». Trois niveaux de cours intensifs ont déjà bénéficié à plus de 1 000 membres d’équipage, avec un objectif de 22 000 d’ici 2026. Une initiative qui illustre la valeur ajoutée croissante du savoir-faire du personnel dans l’expérience client.

Formation et expertise

« Comme pour les chefs qui élaborent les plats servis à bord, je prépare avec les équipes Air France des formations pour les équipages, sous forme de vidéos courtes expliquant la carte, donnant quelques conseils et anecdotes sur les domaines et appellations », souligne Xavier Thuizat. Singapore Airlines instruit son personnel selon les accréditations du Wine and Spirit Education Trust (WSET). Delta a mis en place son programme Sky Sommelier avec Andrea Robinson. Poussant le bouchon plus loin, British Airways propose un club de vin, The Wine Flyer, permettant aux passagers d’acheter des bouteilles en ligne après les avoir dégustées en vol. Et Air New Zealand a déployé ses ailes dans la vinification en lançant sa propre cuvée, Thirteen Forty Five, avec Villa Maria. Alors que l’aviation affûte ses armes de différenciation, certaines maisons anticipent l’avenir : Mumm a pensé son Cordon Rouge Stellar pour les futurs vols spatiaux habités. Preuve que le vin ne cesse de repousser les frontières… jusque dans l’espace.

Florence Jaroniak.

© Air France.

Sources :

https://corporate.airfrance.com/fr/actualites/xavier-thuizat-devient-le-nouveau-chef-sommelier-dair-france

https://www.emirates.com/media-centre

https://www.lufthansa.com/fr/fr/decouvrez-l-offre-de-vins

https://www.businesstraveller.com/features/on-cloud-wine-cellars-in-the-sky-2024

www.globaltravelerusa.com

https://www.iata.org/contentassets/f32de4cd05e2498a824e67fadd658cb7/2024-12-10-01-fr.pdf

Cultiver la résilience : la promesse de la viticulture régénérative

Face aux défis du dérèglement climatique, la viticulture régénérative s’impose comme une alternative durable. En s’appuyant sur le tryptique sol, arbre et eau, elle vise à recréer un écosystème viticole plus résilient et productif.

Sommaire :

  • Le sol au cœur du modèle
  • Animal et végétal
  • Hydrologie régénérative
  • Approche globale

Le sol au cœur du modèle

Ne cherchez pas. La viticulture régénérative ne répond ni à une définition ni à un label officiel unique, même si des certifications émergent pour encadrer et valoriser les pratiques qu’elle recouvre notamment le programme Regenerative Organic Certified (ROC) créé en 2017 par l’association Regenerative Organic Alliance, aux États-Unis. « Les viticulteurs intéressés par la démarche partent d’abord du principe que des sols sains produisent des vignes résistantes et des vins de meilleure qualité », explique Alain Malard, consultant en viticulture-œnologie (Permavinea), formateur en agroécologie et auteur. Pour restaurer les qualités dégradées ou perdues du sol, certains commencent par mettre en place du compost, du biochar et des couverts végétaux… « Semer de l’herbe dans un sol tassé par les passages du tracteur et de la machine à vendanger s’avère toutefois contreproductif » estime Alain Malard qui rappelle la nécessité de fissurer au préalable les terrains compacts « afin de permettre aux racines de descendre, aux vers de terre de remonter et à l’eau de s’infiltrer. »

Animal et végétal

La fertilisation et l’aération du sol passent également par l’intégration d’animaux, et pas seulement des moutons ou des poules. « La faune sauvage contribue aussi à l’amendement organique et sème l’herbe de demain. A condition de réfléchir au choix des couverts végétaux, car le seigle forestier ou la vesse sont peu appétissants pour les oiseaux et les rongeurs », précise Alain Malard. Si un sol rendu vivant va mieux stocker l’eau dont la vigne a besoin, le choix d’un matériel végétal résistant entre aussi en ligne de compte. Cet expert évoque notamment des portes greffes plus longs dans les plantations à venir ou les remplacements, gages d’un enracinement profond qui aidera la vigne à mieux gérer les contraintes hydriques et nutritionnelles. Place ensuite aux aménagements qui permettent de ralentir, de répartir, d’infiltrer et de stocker l’eau de pluie à l’échelle de la parcelle, du domaine et du bassin versant. Il peut s’agir de noues, de mares, de fossés à redents, allant jusqu’au « keyline design », véritable stratégie d’aménagement hydraulique de l’espace.

Hydrologie régénérative

« Les noues sont un endroit particulièrement privilégié pour planter des arbres ou des buissons sous forme de haies qui vont générer un microclimat bénéfique, lutter contre l’érosion, favoriser la biodiversité, capter le carbone, recréer le cycle naturel de l’eau à la fois vers l’atmosphère et dans le sol » souligne encore Alain Malard. Or, pour faire simple, les végétaux font littéralement pleuvoir, comme le rappelait Simon Ricard, consultant-formateur au bureau d’études PermaLab et designer en hydrologie régénérative, lors d’un webinaire organisé en juillet 2023 par le syndicat des vins Côtes de Provence. « Les deux tiers des précipitations continentales proviennent de l’évapotranspiration, directement en lien avec la végétation et les sols, ce que l’on appelle l’eau verte. » Sans elle, le cycle de l’eau dysfonctionne, entraînant une alternance de sécheresses et d’inondations. Voilà pourquoi, « outre la prise en compte des chemins naturels et artificiels de l’eau et des aménagements hydrauliques dans les vignobles, cultiver l’eau verte passe par l‘agronomie, grâce à un sol vivant pour une gestion de l’eau à court terme et par l’agroforesterie pour une gestion à long terme. »

Approche globale

En résumé, la viticulture régénérative demande une approche globale et adaptée à chaque vignoble. Elle croise les pratiques et dépasse l’échelle de la parcelle, pour créer un écosystème durable. « Pour qu’elle devienne la norme, les viticulteurs doivent maintenant mettre le pied sur la deuxième marche de l’escalier » estime Alain Malard. « Ce modèle doit être un moyen d’aller au-delà de la viticulture biologique et non pas de s’exempter parfois de ses contraintes, en se réservant la possibilité d’effectuer un traitement avec des produits de synthèse, au risque de détruire tous les efforts faits en faveur de la biodiversité. » Cette transition nécessite du temps et un travail de réflexion préalable, implique de se former et de changer de paradigme avec des rendements parfois plus faibles au départ. Mais le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ?

Florence Jaroniak. ©sofa12345678/pxhere

Plus d’infos :

https://regenorganic.org

www.regenerativeviticulture.org/

Le bio tient bon la barre

Alors que le marché du bio patine en France, les indicateurs du secteur des vins biologiques restent globalement positifs. C’est dans ce contexte que se tiendra le salon Millésime BIO, du 27 au 29 janvier 2025, à Montpellier.

Sommaire :

  • Voyants au vert
  • Ralentissement des conversions
  • Des vignerons bio… ptimistes

Voyants au vert

Il ouvre le bal des événements professionnels de l’année. Millésime BIO, le plus grand salon au monde pour les vins et les boissons alcoolisées biologiques, réunira 1500 exposants et 11 000 visiteurs (attendus) du 27 au 29 janvier, sous des cieux plutôt cléments. En 2023, les surfaces en viticulture biologique ont enregistré une croissance de 1,6 % en France, quand celles de l’agriculture bio reculaient pour la première fois, selon l’Agence bio. Avec 171 265 hectares, près de 22 % du vignoble hexagonal est désormais conduit selon ce mode de culture, contre 6 % en 2010. Autre motif de satisfaction : à contre-courant de la stagnation du marché global des produits bio, les ventes de vin bio en France ont augmenté à la fois en volume (+6 %) et en valeur (+7 %). La filière viticole bio, qui pèse 1,56 milliard d’euros dont plus du tiers à l’export, reste ainsi portée par la vente directe. Représentant la moitié des vins bio vendus, ce canal est en hausse en valeur de 14,3 % et le circuit caviste, de 12,4 %. Seule la grande distribution marque une baisse de 4,6 %, traduisant un recul du référencement des vins bio dans la majeure partie des enseignes.

Ralentissement des conversions

Cette croissance générale n’est pas suffisante pour écouler les volumes de production qui résultent du boom de la conversion des années 2018-2020. Mais le déséquilibre pourrait s’atténuer avec la rétractation des surfaces en conversion (-33,5 % en 2023 par rapport à 2022). Un ralentissement que SudVinBio, association interprofessionnelle des vignerons bio d’Occitanie et organisatrice du salon, explique par deux facteurs. D’une part, « le potentiel de vignes à convertir se réduit mathématiquement au fur et à mesure des conversions. » D’autre part, « le développement de la filière a toujours alterné des phases d’accélération et des phases de ralentissement afin d’équilibrer de manière conjoncturelle l’offre et la demande. » Il n’en demeure pas moins que les aléas climatiques, ajoutés à la crise, mettent particulièrement les viticulteurs bio à rude épreuve, comme l’illustre l’exemple du château Saint-Loubert (Graves et Bordeaux). « En 2021, année marquée par le gel et la pluie, nous avons perdu 90 % de la vendange. Puis, en 2022, nous avons subi la sécheresse et la cicadelle… Notre premier millésime certifié bio en 2023 s’est vendu au prix du conventionnel alors même que les contraintes techniques et les charges économiques sont plus importantes dans les exploitations certifiées », déplore Agnès Garbay. Cette viticultrice, qui dirige la propriété familiale avec son mari depuis 20 ans, a jeté l’éponge à contrecœur. « Bien sûr, les clients sont sensibles au label et disposés à payer un peu plus, mais pour une petite exploitation à court de trésorerie après trois mauvaises récoltes, savoir si le traitement bio va marcher ou pas ajoute un stress permanent. »

Les vignerons bio… ptimistes

Si les candidats à la déconversion existent, la tendance n’est pas au défaitisme. « 2024 marque notre première année de conversion et notre première participation à Millésime BIO, preuve que nous y croyons », témoigne Madeleine Premmereur du château Barbebelle, en appellation Coteaux d’Aix-en-Provence. L’adhésion de ce domaine au label AB est avant tout motivée par « des préoccupations qualitatives et environnementales », plus que commerciales. « Ce ne sera pas la solution unique à la reconquête des marchés, même si entre deux produits bio et conventionnel de rapport qualité/prix équivalent, le consommateur opte pour le premier. » L’enquête menée par SudVinBio confirme l’humeur optimiste des exposants, les sondés se disant plus confiants dans l’avenir des vins bio que dans l’avenir du vin en général. A fortiori sur le long terme : 30,5 % des vignerons interrogés prévoient une croissance du marché français à un horizon de dix ans ; 20,5 % d’ici à trois ans. Et 40 % pensent que la consommation de vin bio va augmenter dans le monde d’ici à dix ans, alors que pour le vin conventionnel, ils ne sont que 14 % à envisager une progression.

Florence Jaroniak. © : pxhere

Sources :

www.agencebio.org

www.millesime-bio.com

Crémant : des bulles en pleine effervescence

Dans un contexte plutôt morose pour les vins tranquilles, les crémants sont à la fête. Alternative abordable au champagne, cette grande famille conforte son offre qualitative et entend voir sa production valorisée au juste prix.

Sommaire :

  • Record de ventes
  • Prix et diversité
  • Emulation
  • Leviers de croissance
  • Objectif de valorisation

Record de ventes

Roi des tables de fin d’année, le champagne n’est plus seul à y trôner. « A côté des amateurs qui restent des inconditionnels de grandes marques champenoises, les consommateurs en quête de qualité à prix moindre s’orientent désormais vers d’autres effervescents » constate Olivier Leseul, de la cave Cep et Malt à Chelles (77), élu meilleur caviste de France 2024. « Les pétillants naturels, marché de niche, suscitent de l’intérêt auprès des jeunes. Mais leur profil peut surprendre les habitués de la méthode traditionnelle et leurs tarifs sont parfois à l’avenant » poursuit ce professionnel, tandis que « dans l’esprit des consommateurs, le crémant correspond en quelque sorte à la deuxième division du champagne tout en offrant des pépites entre 10 et 15 euros la bouteille. » Si toutes les bulles ne se portent pas bien, le crémant peut ainsi se hausser du col. Ses huit appellations réunies (Alsace, Bordeaux, Bourgogne, Die, Jura, Limoux, Loire et Savoie) ont vendu 108 millions de bouteilles en 2023 (+ 5,7 % en un an).

Prix et diversité

« Cette progression, constante et générale sur la dernière décennie, montre bien que le terme crémant est une locomotive » se réjouit Édouard Cassanet, représentant de la Fédération nationale des producteurs et élaborateurs de crémant (FNPEC). Le dernier indicateur mensuel des ventes en grande distribution corrobore cette tendance, traduisant une hausse globale de 4 à 5% depuis janvier 2024. Il est clair que dans un contexte inflationniste, chacun est attentif à son porte-monnaie mais le facteur prix n’explique pas tout. « Le crémant offre une garantie qualitative, confortée par le nombre de ses appellations. » Une diversité des terroirs qui « stimule la curiosité du consommateur. » En outre, « le caractère fruité, plaisant, accessible du produit et un titrage en alcool limité à 11,5 degrés » constituent autant d’atouts dans l’air du temps.

Emulation

Le crémant doit-il craindre ses concurrents, notamment le prosecco qui a vu sa production tripler en 5 ans pour atteindre 616 millions de bouteilles en 2023 ? « Complémentaires à notre offre, le prosecco et le cava ont plutôt élargi les modes de consommation et alimentent l’appétence du consommateur pour les vins effervescents » estime Édouard Cassanet. De même que les sparkling wines anglais dont la croissance est stimulée par les investissements de propriétés champenoises dans des vignobles du sud du pays. « Nous n’avons rien non plus contre les projets de créations en IGP à condition qu’ils ne s’accompagnent pas de cahiers des charges opportunistes bafouant les règles de production » ajoute le représentant de la FNPEC, qui note également l’émergence sur le marché du crémant, de gros opérateurs dotés d’une force de frappe « marketing » bénéfique à la filière.

Leviers de croissance

Le crémant est désormais reconnu comme une spécialité « porteuse d’image et stabilisante au niveau économique. » En Val de Loire, sa part dans la production est passée de 8,5 % à 17 % en dix ans (périmètre InterLoire). Elle gagne aussi du terrain dans des vignobles historiquement dominés par les vins tranquilles comme le bordelais. « S’il existe une marge de manœuvre pour renforcer certains volumes, l’enjeu est d’abord de garder un équilibre entre offre et demande » estime Édouard Cassanet. A l’export, qui représente 40% des ventes totales du Crémant, Europe du Nord et États-Unis en tête, de nouveaux horizons peuvent encore s’ouvrir. Seuls deux nuages persistent. D’abord, l’étendue de l’offre de crémant reste sous représentée chez les cavistes et dans la restauration française.

Objectif de valorisation

Ensuite, le prix moyen d’un Crémant en grande distribution se situe autour de 7 € la bouteille, soit un niveau identique à d’autres effervescents non issus de la méthode traditionnelle. Aussi, le potentiel de la filière réside maintenant « dans une valorisation plus juste, correspondant mieux à la réalité des coûts de production », générés par des vendanges manuelles, une deuxième fermentation en bouteille, un élevage de douze mois au minimum dont neuf sur lattes et une séparation des lies par dégorgement. Les marques distinctives créées dans certaines régions – Eminent et Grand Eminent en Bourgogne, Prestige de Loire,…- et l’émergence de cuvées millésimées, parcellaires, en mono cépage ou issues de longs élevages diversifient et tirent déjà l’offre vers le haut. Sans oublier les lieux-dits. Depuis 2011, l’Union des producteurs et élaborateurs de crémant de Bourgogne réclame de pouvoir revendiquer cette mention sur les étiquettes, à l’instar du champagneet du crémantde Loire. L’INAO doit étudier la demande au prochain comité national début 2025. Une décision positive constituerait, sans nul doute, de belles étrennes.

Florence Jaroniak, ©Volha_AdobeStock

Source : https://cremants.com

En savoir plus :

https://www.cava.wine/documents/582/DO_CAVA_GLOBAL_REPORT_2023_ENG.pdf

https://www.prosecco.wine/wp-content/uploads/2024/02/CS_04.01.2023_BILANCIO-2023.pdf

https://www.prosecco.it/wp-content/uploads/2023/11/Rapporto-Economico-2023.pdf

https://winegb.co.uk/wp-content/uploads/2023/06/WineGB-Industry-Report-2022-23-FINAL-4.pdf

Millésime 2024 : les vignerons à l’épreuve

Les mauvaises conditions météo ont de nouveau affecté la production mondiale de vin, venant confirmer la dépendance de la viticulture au changement climatique. Et sa nécessaire adaptation.

Sommaire :

  • Faible récolte
  • L’Italie en tête, la France en repli
  • Dérèglement climatique
  • Investir pour s’adapter

Faible récolte

Le 45ème Congrès mondial de la vigne et du vin organisé à Dijon en octobre n’a pas seulement permis à l’OIV d’élire une nouvelle présidente (Yvette van der Merwe). Ni de célébrer son centenaire autour d’un plan stratégique 2025-2029 doublé de 13 résolutions. Il a aussi conduit l’organisation à confirmer ce que chacun appréhendait : une faible vendange 2024. Elle approcherait l’un de ses niveaux les plus bas depuis près de six décennies, avec moins de 250 millions d’hectolitres (Mhl), selon un premier bilan basé sur les grands pays représentant les trois quarts de la production mondiale. Parmi eux, certains, en grande difficulté l’an dernier, ont connu quelques améliorations même s’ils restent en dessous de leurs moyennes historiques. Tel est le cas de l’Argentine ou de l’Australie pour l’Hémisphère sud comme de l’Italie et de l’Espagne en Europe.

L’Italie en tête, la France en repli

Fort d’une récolte estimée à 41 Mhl, le vignoble italien bénéficie d’une légère reprise qui masque néanmoins l’influence de phénomènes météorologiques extrêmes. Il récupère ainsi son rang de premier producteur mondial. Les coopératives agroalimentaires d’Espagne tablent quant à elles sur 37 Mhl : un volume supérieur de 14,5% à 2023… grâce aux productions moyennes en Castille-La Manche et en Estrémadure qui ont compensé la très faible récolte de la zone orientale, à nouveau frappée par la sécheresse. A l’inverse, le Chili et la France s’avèrent moins bien lotis. La production hexagonale s’établirait à environ 37 Mhl. Soit un recul de 23% par rapport à l’an dernier et de 17% par rapport à la moyenne quinquennale. Tous les bassins viticoles sont concernés, particulièrement le Jura avec un repli de 68% par rapport à la vendange élevée en 2023. Les pertes sont également significatives en Champagne (-46%), en Bourgogne-Beaujolais (-38%), en Charente et dans le Val de Loire. La faute aux précipitations excessives et/ou à la sécheresse, au gel, à la grêle, parfois cumulés dans l’année.

Dérèglement climatique

Certes, la nature a habitué les vignerons auxvariations de récolte. Pour autant, ces 30 dernières années, la production mondiale « avait fluctué dans une amplitude relativement constante » selon John Barker, directeur général de l’OIV. « Il est donc assez significatif qu’en 2023, elle soit passée sous le niveau le plus bas de cette amplitude ». Un avis partagé par Jean-Marie Fabre, le président des Vignerons Indépendants de France. « A l’époque de mes parents ou de mes grands-parents, un aléa climatique survenait tous les 20 ans. On parlait alors de millésimes de vignerons au regard du savoir-faire et de l’acharnement déployés pour tirer la quintessence des raisins épargnés. J’ai l’impression que la nature ne nous réserve désormais que des millésimes de vignerons. » Un peu de stock et de capacité d’autofinancement alliés à un coup de pouce ponctuel de l’Etat permettaient en outre de lisser l’écueil d’une perte de récolte et de reconsolider l’activité. Mais la donne a changé, entre une crise multifactorielle qui a fragilisé la filière et des aléas climatiques devenus récurrents.

Investir pour s’adapter

Si des cépages résistants ou des pratiques agricoles différentes peuvent amenuiser l’impact du changement climatique, pour le vigneron de Fitou, « planter de la vigne en Bretagne ne suffira pas à régler le problème car cette région n’est pas épargnée par le gel. » Il prône donc un plan de résilience qui change de paradigme, en anticipant. « Plutôt que des aides gouvernementales destinées à compenser les dégâts après coup, pourquoi ne pas soutenir sur deux ou trois ans, des investissements destinés à protéger la vigne de la grêle, du gel et de la sécheresse ? Investir aujourd’hui pour économiser demain et continuer à créer de la richesse ? » interroge Jean-Marie Fabre. Des solutions existent : concernant le gel, elles vont des fils chauffants, fonctionnant parfois avec du photovoltaïque aux systèmes d’aspersion, en passant par les tours anti gel. « Les filets para grêles ont aussi une efficacité de l’ordre de 92% mais coûtent de 8000 à 10 000 euros par hectare » ajoute Jean-Marie Fabre, résolument optimiste. « La vigne existe dans notre pays depuis plus de deux millénaires. Nos ancêtres vignerons ont aussi traversé des moments difficiles. Et les évolutions dans la consommation du vin ne datent pas d’aujourd’hui… »

Florence Jaroniak © Pexels/Filipp Romanovski

Plus d’infos :

www.oiv.int/fr/presse/les-temps-forts-de-lassemblee-generale-de-loiv

https://www.ismea.it/flex/cm/pages/ServeBLOB.php/L/IT/IDPagina/13111#:~:text=Quantit%C3%A0%20a%2041mln%20di%20hl,la%20scorsa%20annata%20ultra%2Dlight.

https://www.agro-alimentarias.coop/posts/cooperativas-agro-alimentarias-estima-una-vendimia-de-37-millones-de-hl
https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/disaron/IraVit24141/detail/

www.wineaustralia.com/getmedia/b3576546-f5b7-4210-b936-0460b618bd41/MI_VintageReport2024_F.pdf

https://bit.ly/2024HarvestReport

https://www.nzwine.com/en/media/statistics-reports/nzw-annual-report

L’IGP Cévennes prend du relief

Quarante communes situées dans le massif cévenol en Lozère ont intégré l’IGP Cévennes. Leurs terroirs d’altitude et leurs cépages étonnants ouvrent de réelles perspectives.

Sommaire :

  • Légitimité historique
  • Gagnant-gagnant
  • Palette de cépages
  • Variétés oubliées
  • Treilles et bancels
  • Environnement et communication

Légitimité historique

Le décret ministériel a pris effet aux vendanges 2024 : l’IGP Cévennes élargit son aire de production aux cantons cévenols lozériens. « Lors de la rédaction de son cahier des charges en 2008, l’IGP s’est limitée aux communes gardoises alors que selon des écrits de l’époque de Louis XIV, les Cévennes constituent historiquement une entité propre qui va jusqu’aux pentes du massif éponyme » relate Jérôme Villaret, chargé de projet pour l’IGP Cévennes. Ainsi, cette extension, impulsée notamment par l’ancien président du syndicat Christian Vigne, « répare un oubli qui était une hérésie » selon son successeur Christel Guiraud. Face à son grand frère gardois (80 exploitations produisant en moyenne 70 000 à 80 000 hectolitres annuels), l’ascendant Lozère fait figure de petit poucet avec sa dizaine de vignerons… pour l’instant. Mais le rapprochement bénéficie aux deux.

Gagnant-gagnant

Les uns vont profiter de la dynamique commerciale de l’IGP et d’une meilleure visibilité de leurs vins grâce à la notoriété du mot Cévennes, associé à un parc national symbolisant une nature préservée et accueillant deux millions de visiteurs par an*. Les autres, de terroirs d’altitude adaptés au changement climatique et à fort potentiel. « Certains vignerons commencent même à planter à 700 mètres, sur des sols de schiste et de granit qui ressemblent un peu aux terroirs de Faugères et au haut des Terrasses du Larzac » souligne Jérôme Villaret. « Ils sont aussi très motivés par des dossiers comme les cépages patrimoniaux » complète Christel Guiraud.

Palette de cépages

Autorisant 97 cépages, le cahier des charges offre déjà la possibilité aux vignerons de planter à la fois de grands classiques adaptés aux sols frais comme la Syrah, le Pinot et le Chardonnay, des cépages résistants -Soreli, Floréal…- et des cépages anciens à l’image de la Counoise, du Terret blanc ou du Morrastel, variétés autrefois tardives qui arrivent désormais à maturité normalement. « Dans les années 60, les Cévennes lozériennes comptaient aussi 30% de cépages interdits, ces hybrides importés d’Amérique du Nord pour lutter contre le phylloxéra puis prohibés en 1934. Ils ont survécu grâce au caractère rebelle des Lozériens, par méconnaissance des règles dans des zones reculées et parce qu’ils étaient naturellement résistants aux maladies et au gel de printemps» explique Jérôme Villaret.

Variétés oubliées

Longtemps taxés de tous les maux, aujourd’hui réputés moins tanniques, plus légers et plus aromatiques que la plupart des vins issus de vitis vinifera, leur profil pourrait séduire une nouvelle génération de consommateurs. « Nous avons d’abord besoin de mieux les comprendre ainsi que les bonnes pratiques agronomiques et de vinification pour en faire des cuvées intéressantes. A ces fins, un observatoire a été lancé en 2023 pour recenser les souches. Un essai de micro vinification en pur débouchera sur une première dégustation en février 2025. Si leur potentiel s’avère, nous repartirons au combat pour obtenir l’autorisation d’introduire ces cépages au catalogue national. » La démarche concerne aussi les vieilles variétés oubliées comme le Négret de la Canourgue, un vitis vinifera endémique. Un vigneron d’Aujac dans le Gard a même découvert un cépage inconnu des ampélographes montpelliérains qu’il a baptisé l’Aujaguais.

Treilles et bancels

« A l’heure où six cépages assurent 70% de la production mondiale et face au réchauffement climatique, les vignerons cévenols détiennent un potentiel fantastique qui va permettre de différencier la production en racontant également une histoire » martèle Jérôme Villaret. En 1960, en Lozère, une myriade de petites exploitations en polyculture cultivait près de 1000 hectares de vigne pour une consommation familiale ou celle des mineurs du bassin alésien. « Les ceps étaient plantés en bancels**, sur des treilles en châtaignier avec des légumes en dessous pour économiser la terre. D’où le choix de certains vignerons de ressusciter les cépages interdits car ils sont adaptés à cette forme de culture et la décision de mener un programme expérimental avec le syndicat des hautes vallées cévenoles pour évaluer la meilleure agriculture possible en bancels. »

Environnement et communication

Là n’est pas le seul cheval de bataille du syndicat. « A compter de 2027, 100% des vins en IGP Cévennes devront être biologiques ou sous label HVE, sachant que 90% des exploitations s’inscrivent déjà dans cette dynamique » annonce Christel Guiraud. Les vignerons sont par ailleurs engagés au sein d’un GIEE, groupement d’intérêt économique et environnemental qui creuse le sillon de toutes les pratiques agroécologiques depuis l’enherbement des parcelles jusqu’aux plantations de haies. L’IGP Cévennes espère aussi faire connaître et reconnaître sa valeur au-delà de la région, voire de l’hexagone, à travers une nouvelle communication : site internet rajeuni, appui d’influenceurs et de parrains de renom, édition d’un livret gastronomique… Ce label n’a visiblement pas fini de faire parler de lui.

Florence Jaroniak,  © IGP Cévennes

*Source : Atout France, 2018.

**Terrasses assez étroites, retenues par des murets de pierre sèches.

En savoir plus : www.vinsdescevennes.com

Le verre passe au vert

Entre process moins énergivore, recyclage accru et bouteilles au régime minceur, l’industrie verrière carbure pour réduire son impact carbone, au profit de la filière viticole.

Sommaire :

  • Une feuille de route bien tracée
  • Place aux énergies décarbonées
  • Le calcin roi
  • Toujours plus de circularité
  • Des bouteilles poids plume

Une feuille de route bien tracée

L’emballage est aujourd’hui à l’origine de 30 à 40% du carbone émis par le secteur viticole. Mais plus pour longtemps. Signe d’une profonde mutation qui s’accélère, la Fédération des industries du verre a publié coup sur coup, sa feuille de route de la décarbonation auprès du Ministère de l’Industrie et un Plan de Transition Sectoriel élaboré avec l’ADEME*. Ainsi rappelait Jacques Bordat, président de la FIV, en juillet dernier : « les verriers s’engagent et investissent dès maintenant dans des actions et des projets afin de décarboner leur production. » Verallia, 1er producteur européen d’emballages en verre pour les boissons et les produits alimentaires, a pour sa part arrêté sa stratégie en 2020. Son ambition : réduire de 46% ses émissions de CO2 d’ici 2030 par rapport à 2019 (scope 1 et 2)**, en innovant d’abord dans la technologie de fusion.

Place aux énergies décarbonées

 « L’essentiel des émissions de gaz à effet de serre des verriers est généré par le processus de fabrication » explique Marie-Astrid Gossé, directrice marketing de Verallia groupe. « C’est pourquoi nous avons mis en service en mars 2024, un four électrique dans notre usine de Cognac, qui permet de réduire l’empreinte carbone de 60% par rapport à un four traditionnel fonctionnant principalement au gaz. » La construction de fours hybrides (80% électricité/20% gaz) suit la même logique. L’américain O-I Glass a injecté environ 65 millions de dollars dans son usine de Veauche (Loire) pour équiper en 2025, l’un de ses fours de cette technologie et d’un système de récupération de chaleur et de préchauffage de l’air. Le démarrage du premier four hybride Verralia est aussi prévu en 2025 en Espagne (Saragosse), et en 2026 en France, à Saint-Romain Le-Puy (Loire). Enfin, le site de Tourres & Cie de Saverglass au Havre (Seine-Maritime) sera équipé de même en 2027.

Le calcin roi

Par ailleurs, plutôt que de puiser dans les ressources naturelles, les verriers ont désormais recours majoritairement au calcin, constitué de débris de verre issus du recyclage. « Dix points de calcin en plus dans les fours réduisent de 5% l’émission de CO2 et de 2,5% l’énergie consommée » pointe Marie-Astrid Gossé.«Cependant, la disponibilité de ce matériau varie en fonction des zones géographiques. Ce qui suppose d’améliorer la collecte des déchets en verre. » Dans cette optique, Verallia investit dans ses 19 centres de traitement du calcin installés dans huit pays, notamment pour améliorer le tri optique et ainsi optimiser la qualité du calcin réinjecté dans les fours.

Toujours plus de circularité

Le réemploi est un autre moyen de développer la circularité des emballages en verre. Car, comme le souligne la responsable marketing, « dans un système mature, la réutilisation après reconditionnement peut diviser par quatre la consommation énergétique et les émissions de CO2 des bouteilles en verre» D’autant que ce matériau semble avoir été taillé à cette fin. « L’emballage en verre est recyclable à 100% et à l’infini ; facile à réemployer car inerte, mono-ingrédient et transparent. Solide, il résiste également aux lavages. »Marie-Astrid Gossé en est persuadée : « en plus des efforts à poursuivre sur ce volet, la consigne créera des opportunités pour le verre, à condition d’arriver à reconstruire tout un écosystème. » Qu’ils soient à usage unique ou réemployables, les contenants en verre finissent par être recyclés en de nouveaux emballages avec un taux de collecte de 80,2% en Europe.

Des bouteilles poids plume

Dernier levier à actionner : l’écoconception. « Au-delà de l’impératif écologique, beaucoup de domaines viticoles sont soucieux d’alléger leurs emballages notamment à l’export. Des monopoles comme la SAQ au Canada ou Systembolaget en Suède fixent en effet un poids à ne pas dépasser » souligne Marie-Astrid Gossé. Par conséquent, de nouvelles gammes, plus légères, sont régulièrement développées, en conservant les caractéristiques techniques et esthétiques des bouteilles initiales. La réduction induite de l’impact carbone bénéficie à toute la chaîne de valeur y compris le transport. « Le process suppose toutefois des outils de modélisation de pointe pour estimer la répartition optimale du verre dans le cadre de l’allègement, des systèmes de contrôle poussés sur les lignes de production puis des tests pour s’assurer de la totale résistance des bouteilles » poursuit Marie-Astrid Gossé. En juillet 2024, Verallia a validé ceux de sa bouteille champenoise Ecova 2, en partenariat avec la Maison Telmont : elle pèse 800 grammes, soit 35 de moins que la version précédente et 100, par rapport au modèle classique. Une différence invisible à l’œil nu mais bien perceptible à l’échelle de l’environnement.

Florence Jaroniak. © Adobestock

*ADEME : agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.

**Le scope 1 correspond aux émissions de gaz à effet de serre directement émises par les activités de l’entreprise ; le scope 2 couvre les émissions indirectes liées à l’énergie, se produisant hors du site de l’entreprise.

Sources :

https://www.adelphe.fr/mieux-nous-connaitre/actualites/plans-prevention-deco-conception

https://www.entreprises.gouv.fr/files/files/enjeux/d%C3%A9carbonation/feuille-de-route-verre.pdf

https://investors.o-i.com/News-Events/news/news-details/2024/O-I-Glass-to-Invest-65-Million-in-Electrification-and-Decarbonization-in-Veauche-France/default.aspx

Des vignobles à l’âge de pierre

Ses valeurs tant esthétiques qu’écologiques ne sont plus à prouver. La pierre sèche, longtemps délaissée, remonte la pente dans les domaines viticoles, poussée par des initiatives collectives et individuelles.

Sommaire :

  • Un patrimoine multiservices
  • Du coup de pouce financier à la formation
  • La renaissance en bonne voie

Un patrimoine multiservices

Imaginez les vignobles de Côte-Rôtie, de la Côte Vermeille, de la vallée du Douro au Portugal ou encore du Lavaux en Suisse, sans leurs terrasses. Ils perdraient leur identité et bien plus. Car les murets en pierre sèche, qu’ils permettent de cultiver des sols pentus ou délimitent des parcelles, n’offrent pas seulement un atout paysager. Ils répondent aux enjeux environnementaux d’aujourd’hui : régulation thermique, lutte contre l’érosion des sols et le risque d’incendie, gestion de l’eau, refuge de biodiversité… Las, ces ouvrages édifiés depuis des millénaires, sans liant ni ferraillage, sont souvent en mauvais état ou ont été rénovés à la va-vite, au risque de perdre leur valeur patrimoniale et leurs fonctions. Un constat qui a conduit l’Association des Climats du vignoble de Bourgogne à initier, en précurseur, un dispositif d’aide à la restauration du petit bâti viticole : murets, cabottes (abris), portes de Clos… « Tout est parti de l’inscription des Climats au patrimoine mondial, en juillet 2015. En reconnaissant à la fois un modèle de viticulture unique au monde et tous les éléments constitutifs de son paysage, l’UNESCO a attiré l’attention sur un marqueur identitaire et la nécessité de le sauver » relate Nathalie Hordonneau-Fouquet, responsable Patrimoine et Médiation au sein de l’association, qui a recensé plus de 220 kilomètres de murs sur son territoire.

Du coup de pouce financier à la formation

« Cet inventaire nous a appris que les propriétaires n’avaient aucun moyen de restaurer ce patrimoine correctement, faute de conscience suffisante sur son rôle et d’aide publique spécifique. » D’où l’instauration d’un fonds, abondé par une première collecte réussie à l’international. Certes, les matériaux sont souvent récupérés sur place, mais la mise en œuvre coûte cher : « 25 à 30 % de plus qu’une construction contemporaine, les travaux étant, par contre, moins conséquents. » En six ans, le nombre de projets publics et privés accompagnés sur le périmètre du site inscrit est ainsi passé d’une vingtaine à 240. Ils représentent 7,5 millions d’euros de travaux, financés à hauteur de plus de 3 millions par ce dispositif. « En parallèle, nous sensibilisons les propriétaires lors de rencontres, d’ateliers, et par des formations grâce à un partenariat avec le CFPPA* de Beaune. Un module dans les cursus offre des bases aux futurs salariés et exploitants pour l’entretien courant des ouvrages » ajoute Nathalie Hordonneau-Fouquet. Dans la foulée, ces chantiers ont relancé un savoir-faire en perte de vitesse, désormais reconnu, lui aussi, par l’UNESCO : le territoire compte trois entreprises spécialisées, contre un seul murailler en 2018. Le travail, lui, se poursuit avec d’autres associations par le biais du Conseil régional de Bourgogne Franche-Comté pour mener des actions communes et trouver des financements européens, ou avec l’Etat, pour mettre en place des sites classés au titre de la loi paysage de 1930.

La renaissance en bonne voie

Il reste du pain sur la planche, mais la dynamique est en marche. Elle a, entre autres, les traits de Florence Monmousseau qui a acquis avec son mari, La Grange De Bouys à Roujan dans l’Hérault, en 2010. « Les centaines de mètres de murets soutenant les coteaux étaient masqués par la végétation. En découvrant leur mauvais état, j’ai décidé de me former avec l’association Pierres Sèches sauvegarde du patrimoine, à Faugères, puis de façon plus professionnelle avec les Muraillers Languedociens. » Résultat, la vigneronne a en grande partie restauré son patrimoine, mais aussi créé des escaliers et des passages entre parcelles. Avec une passion telle, qu’elle a fini par adhérer à la Fédération Française des Professionnels de la Pierre Sèche et n’hésite pas à sensibiliser d’autres domaines. « Des aides financières existent et la formation est accessible si on la cherche, notamment via les parcs naturels régionaux. Il ne faut non plus avoir peur de se retrousser les manches » souligne Florence Monmousseau. Le jeu en vaut la chandelle. « Une pierre après l’autre et nous voilà partis pour 50 ans avec un mur dont la résilience est sans commune mesure avec le béton ! »

Florence Jaroniak, ©Association des Climats-PM

*Centre de Formation Professionnelle et de Promotion Agricole

Liens utiles :

Fédération Française des Professionnels de la Pierre Sèche : https://www.professionnels-pierre-seche.com

Les Climats du vignoble de Bourgogne / dispositif dédié : https://www.climats-bourgogne.com/fr/dispositif_638.html

Cartographie des initiatives de la pierre sèche en région Sud

S.P.S (réseau international) : http://pierreseche-international.org/

Œnotourisme, mode d’emploi

Nuit chez le vigneron, participation aux vendanges, ateliers mets et vins… Le succès du tourisme vitivinicole ne se dément pas et les marges de progression restent importantes. À condition de savoir structurer et promouvoir son offre pour qu’elle tienne la distance.

Sommaire :

  • Que représente l’œnotourisme en France ?
  • Pourquoi se lancer dans cette activité ?
  • Comment tirer son épingle du jeu ?
  • Quel est l’intérêt du travail en réseau ?

Que représente l’œnotourisme en France ?

Quel paradoxe ! Si la première route des vins française a vu le jour en Bourgogne en 1937, c’est la Californie que l’œnotourisme a pris pour berceau, dans les années 70. Puis il a tracé son chemin au sein des chais du Nouveau monde, avant de gagner l’Europe, une décennie plus tard… Bilan ? Selon Atout France, agence de développement touristique nationale, la France accueille 10 millions d’œnotouristes par an, à 42 % étrangers, pour une dépense de 5,2 milliards d’euros. Ces chiffres, établis en 2016, n’ont pas été réactualisés, mais la dynamique se poursuit. « Grâce au travail de fond mené par les institutionnels depuis 20 ans, le bordelais s’est hissé au rang des destinations oenotouristiques majeures dans le monde. Pourtant, au départ, les domaines ne voyaient pas l’intérêt d’ouvrir leurs portes puisqu’ils vendaient leur vin sur la place de Bordeaux et non à la propriété » relate Catherine Leparmentier Dayot, directrice générale du réseau des Great Wine Capitals.*

Pourquoi se lancer dans cette activité ?

Toutes les régions viticoles ont ainsi pris le train en marche, un peu poussées par la crise. Et pour cause. Cette forme de tourisme dynamise les ventes au caveau et représente une source de revenu différenciée, moins tributaire des aléas météorologiques que la viticulture. En moyenne, un domaine augmente de 20 % son chiffre d’affaires en proposant des prestations oenotouristiques. Surtout, le vigneron a entre les mains, un formidable outil marketing, gage de contact direct, instructif, avec les consommateurs et promesse d’une notoriété accrue. « Quand les visiteurs repartent avec de bons souvenirs, ils auront tendance à choisir votre marque lorsqu’ils la retrouveront au restaurant ou chez un caviste » souligne Catherine Leparmentier Dayot.À une nuance près : « La visite suivie d’une dégustation ne suffit plus. Pour que le modèle économique fonctionne, il ne faut plus s’adresser seulement à l’amateur de vin mais au touriste. Et ce touriste veut vivre des expériences mémorables. »

Comment tirer son épingle du jeu ?

Alors place à l’imagination. De la journée thématique au programme complet – hébergement, restauration, animation -, chacun décidera selon ses objectifs et ses capacités, en suivant quelques principes pour mettre plus de chances de son côté. D’abord, la qualité d’une prestation reste la clé du succès : elle passe des horaires respectés et du personnel formé. « Sans forcément être complète, l’offre doit se démarquer et comporter un aspect gastronomique, car il fait partie du plaisir attendu, sous forme d’un atelier vins et fromages, par exemple. En outre, proposer régulièrement des événements est un moyen de faire venir et revenir les clientèles locales, souvent en semaine et hors saison » ajouteCatherine Leparmentier Dayot.Chacun l’aura compris :plus structurées, ces nouvelles activités représentent un second métier qui nécessite du temps et de l’argent. Avant d’investir, « une étude de marché s’impose donc pour connaître l’attente des clientèles, les propositions existantes, les tarifs pratiqués et réfléchir à son positionnement. »

Quel est l’intérêt du travail en réseau ?

Une fois l’offre créée, reste à la faire connaitre, via « un site internet efficient, bien référencé, au minimum bilingue et une présence active sur les réseaux sociaux, en veillant à sa e-réputation » estime l’experte. L’union faisant la force, nouer des liens avec les interprofessions et syndicats viticoles, chambres d’agriculture et de commerce, comités départementaux, régionaux et offices du tourisme, autres prestataires… s’avère également un facteur essentiel pour la mise en marché et la promotion. S’inscrire dans certaines démarches renforce l’efficacité du réseautage : les labels, comme « Vignobles & Découvertes » d’Atout France, et les concours, comme Best Of Wine Tourism. Enfin, coup de pouce à la commercialisation, « les plateformes de réservation en ligne spécialisées et les agences réceptives constituent des relais utiles pour de nouvelles clientèles, notamment internationales» conclut Catherine Leparmentier Dayot. Maintenant, à vous de jouer !

Florence Jaroniak,© pexels Sama Bairamova

*Créé en 1999 à l’initiative de la CCI Bordeaux Gironde, le Réseau des Capitales de Grands Vignobles (Great Wine Capitals Glogal Network) vise à favoriser les échanges commerciaux, touristiques et pédagogiques entre ses membres. Il organise notamment le concours Best Of Wine Tourism qui récompense chaque année les propriétés et prestataires proposant une offre œnotouristique originale et de qualité.

Bibliographie (en téléchargement gratuit sur le site d’Atout France) :

https://www.atout-france.fr/fr/catalogue/etudes-publications/tourisme-et-vin-reussir-la-mise-en-marche

https://www.atout-france.fr/fr/catalogue/rendez-vous/imex-america-2023